Déconcentration et décentralisation en Haiti

< Previous | Home | Next >

Déconcentration et décentralisation en Haiti: Quels choix et quel calendrier?

Par Daniel Altiné
Le séisme du 12 janvier 2010 a eu le mérite de réveiller les haïtiens et les faire réaliser le piège de concentrer toutes les activités politiques, économiques, sociales et culturelles dans la République de Port-au-Prince et de pratiquer la négation absurde des régions du pays. D'un coup, il devient vertueux de parler, discourir et discuter de déconcentration de Port-au-Prince et de décentralisation.

Le Président Préval, le pilote, celui qui tient le maillet du capitaine, vient de découvrir, comme « Monsieur tout le monde » les vertus de la décentralisation, alors qu'à deux reprises dans l'histoire, sur deux mandats totalisant près de 10 ans, il avait la possibilité de poser des jalons importants, d'avancer dans cet agenda de façon irréversible, voire de faire une révolution tranquille dans ce domaine.

Notre Président en parle comme s'il était étranger aux décisions, alors qu'il faisait les décisions.

Quelle hypocrisie ! Même si nous devons reconnaître la responsabilité du régime des Duvalier dans le renforcement du processus de marginalisation des régions du pays depuis l'indépendance, il est indéniable que l'action des différents régimes d'après 1986, dont plus de 15 ans de démagogie Lavalas, n'a fait qu'accélérer ce processus qui a accouché d'un pays atteint d'hyper-macrocéphalie.

La déconcentration était possible, mais les impostures ont la vie dure en Haïti

Pourtant, les décisions pouvaient se faire rapidement en matière de déconcentration de Port-au-Prince, notamment des services publics vers les régions, mais la mauvaise gouvernance et la démission des dirigeants n'ont pas été propices, au cours des 25 dernières années, à une telle action.

A des fins de clarification, la déconcentration est « un système d'organisation des structures de l'État dans lequel certains pouvoirs de décision sont sonnés aux agents du pouvoir central répartis sur le territoire » (Larousse 2009).

A ce propos, il ne s'agit pas encore de transfert de pouvoir ou de compétences vers les régions (domaine de la décentralisation), mais de meilleur déploiement de l'action du pouvoir central vers les collectivités via ses propres agences ou directions dans les départements et/ou les communes (par exemple, une direction départementale), dans la perspective d'amélioration de la gouvernance, ainsi que de la couverture et de la desserte des services publics.

Les directions départementales de nos Ministères n'existent que de nom et sont de véritables coquilles vides, alors que les autorités sont démissionnaires.

Pourtant, à de multiples occasions le secteur privé, la société civile et divers secteurs de la vie nationale, tant à Port-au-Prince qu'en provenance des collectivités territoriales, ont appelé, au cours des vingt-cinq dernières années, à une déconcentration dans des domaines où la demande sociale était forte, et où l'on pouvait éliminer les irritants et avoir des avancées rapides, comme la livraison dans les chefs -lieux de départements de services publics tels que: extraits d'archives, passeports, permis de conduire, enregistrement de la création de société, etc...

Le processus de décentralisation n'a jamais bénéficié d'une volonté politique réelle

Dans la même veine, l'on aurait pu être plus proactif et responsable, et avancer, depuis la promulgation de la Constitution de 1987, sur l'agenda de la décentralisation, « système d'organisation des structures administratives de l'État qui accorde (transfère) des pouvoirs de décision et de gestion aux collectivités locales » (Larousse 2009).

A ce chapitre, plus de 20 ans après la Constitution de 1987, le Pouvoir Législatif a rivalisé et continue de rivaliser d'inertie et d'irresponsabilité avec l'Exécutif, puisque le processus est resté au point mort et les mécanismes prévus par la Loi-mère n'ont jamais été mis en place.

Si on avait mis le pied à l'étrier, si on avait avancé depuis tout ce temps avec l'agenda de la décentralisation, on en serait aujourd'hui au stade d'analyse et d'évaluation ; on aurait alors un champ d'investigation très riche, une véritable manne pour nos étudiants de maîtrise pour la production de mémoire.

Alors qu'au niveau politico-administratif rien n'a bougé, les Gouvernements n'ont pas non plus articulé ni mis en Å"uvre de politique de développement d'activités économiques régionales, avec comme résultat que les potentialités territoriales n'ont jamais été activées, ni les bassins d'emplois.

La tragédie du 12 janvier 2010 nous a surpris dans cette mauvaise posture, avec comme conséquence que nous avons maintenant un pays fermé, qui est en train de perdre près de 60% de son Produit Intérieur Brut (PIB), au cours de ces deux derniers mois, simplement parce que la grosse tête Port-au-Prince est frappée et comptée K.O.

La déconcentration et la décentralisation vues comme des processus
En vue d'inverser la situation, les dirigeants haïtiens doivent cesser les palabres démagogiques et prendre vigoureusement des actions concrètes. Et le plus tôt sera le mieux ! A ce propos, au niveau de la méthode, nous sommes condamnés à agir et à réfléchir en même temps (Action => Réflexion => Correction => Action..).

L'on doit agir sur le système hyper centralisé actuel dans le sens d'une plus grande déconcentration, en même temps que l'on cherche des moyens de transférer certaines compétences simples aux collectivités locales (décentralisation), avec des ressources en conséquence.

L'on accumule ainsi des données sur l'expérience, l'on évalue, l'on corrige, et par itérations successives, l'on avance.

C'est ce qu'on appelle méthode essai-erreur, une méthodologie de recherche-action.

En fait, il s'agit de considérer la déconcentration et la décentralisation comme des processus, non mutuellement exclusifs mais complémentaires, avec des étapes bien identifiées, et de commencer rapidement en mettant le pied à l'étrier pour finir par monter le cheval et se mettre en route (quant bien même on est tout croche sur le cheval, on finira par se dresser).

Nous n'avons pas à choisir entre la déconcentration et la décentralisation, et devons agir et avancer sur les deux tableaux à la fois.

Quel calendrier?

Mon inquiétude, c'est de voir, les premiers moments de stupeur, créés par le séisme du 12 janvier 2010, passés, nos dirigeants revenir à leurs bonnes vieilles habitudes, être incapables de faire preuve de vision, de s'élever à la hauteur du défi de construire le pays avec des regards neufs, et retomber dans leur irresponsabilité, dans un pays où nous n'avons aucun sens des échéances, alors que la demande nationale pour plus de déconcentration et de décentralisation est forte.

Avec un Å"il sur le budget 2010 - 2011, l'Exécutif devrait normalement commencer à prendre des mesures en matière de déconcentration de certaines fonctions et activités, de façon à les traduire ou codifier dans le budget de l'année prochaine commençant en octobre 2010. C'est le temps également pour l'Exécutif et les Commissions du Parlement de commencer à plancher sur les compétences à transférer progressivement aux collectivités, en ayant en tête que le processus de décentralisation s'implantera sur le long terme et qu'il convient de mettre en place dès maintenant les mécanismes de contrôle des pouvoirs locaux.

Ensuite, il faut comprendre que l'on ne décentralise pas une fois pour toutes.

C'est le premier pas qui compte et qui permettra d'enclencher l'expérience haïtienne en la matière, toujours selon la méthode Essai-erreur.

C'est le mieux que le Gouvernement actuel peut faire.

A ce propos, mon vÅ"u le plus cher est que la campagne électorale de fin 2010 soit l'occasion par excellence pour les hommes politiques de venir exposer et expliquer à la population haïtienne leur vision de la nouvelle Haïti. Si ces élections générales sont libres, nous espérons alors que notre nation ait la possibilité de faire émerger un leadership visionnaire et progressiste qui place la promotion du développement intégral de l'homme haïtien (où qu'il se trouve sur le territoire national) au cÅ"ur de ses préoccupations.

Quelles compétences, quels pouvoirs commencer à transférer, ou fonctions à déconcentrer?

En matière de décentralisation, il convient de prévoir plusieurs phases, et nous en avons pour au moins 25 ans, à pas de course, avant de commencer vraiment à inverser le modèle insensé de la République de Port-au-Prince.

A titre indicatif l'on pourrait commencer, au cours d'une première phase, à transférer les pouvoirs aux collectivités dans les domaines suivants:
• Jeunesse, sport, loisirs et action civique ;
• Protection civile et gestion des désastres ;
• Travaux publics: entretien de portions des routes nationales traversant un département donné, de routes secondaires et tertiaires du département ;
• Agriculture: construction et entretien de canaux d'irrigation ;
• Environnement: reboisement, aménagement de bassins versants ;
• Eau potable et assainissement.

En matière de déconcentration, outre les domaines cités précédemment, le crédit agricole, le financement des petites et moyennes entreprises, la formation professionnelle et les initiatives en matière d'emploi doivent faire l'objet d'une grande déconcentration du centre vers les régions.

Ressources nécessaires
Le transfert de certains pouvoirs signifie que le pouvoir central doit transférer de l'argent aux collectivités. A cet effet, une réforme du système budgétaire national est nécessaire en vue: i) de changer le fait que 95% du budget national de fonctionnement de l'État haïtien est dépensé à Port-au-Prince ; ii) d'en favoriser une répartition plus juste (ça pourrait être 25% du budget de fonctionnement au pouvoir central - 75% aux départements), par un système de péréquation permettant aux départements plus faibles de pouvoir mobiliser des ressources financières pour leur fonctionnement ; iii) d'établir un budget d'investissement en fonction des potentialités régionales.

Quant aux ressources humaines, un régime d'incitation peut favoriser leur installation en région.

En outre la dynamique de développement et le foisonnement économique régional a comme principal effet d'attirer les compétences.

Port-au-Prince,24février2010.

Daniel Altiné.

Max, February 25 2010, 11:53 PM

Start a NEW topic or,
Jump to previous | Next Topic >

< Previous | Home | Next >