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Pour Natasha: Article par :Aimé Césaire (Il est mort je crois 17 Avril 2008)
La tragédie du roi Christophe,
Le premier janvier 1804, les esclaves de Saint-Domingue décident que l'heure de la libération et de la vengeance a sonné.

Le pays reprend son nom d'origine indienne, Haïti. L'idéologie parisienne de l'époque du nègre burlesque, " bon sauvage ", voire cette image de l' African Hospitality - comme le mentionneront les récits des plantations américaines - s'estompe un moment pour faire place au " sale nègre, assassin et cannibale ".

Hannibal Price dira, lui, que ce fut donc le premier pays " où le nègre s'est fait homme ".

Alors qu'on y condamnait déjà sévèrement l'esclavage, des bateaux continuent de déverser leur cargaison humaine au large des côtes de la Martinique et de la Guadeloupe où l'esclavage n'était pas encore aboli.

Il faudra attendre 1848 pour ne plus entendre parler officiellement de la traite dans les Antilles françaises.

Au Brésil, elle perdurera jusqu'à la fin du siècle.
Les atrocités de cette période esclavagiste ne sont pas pour autant oubliées dans la nouvelle république de 1804. Les conséquences perdureront même inconsciemment.

Au fond, certaines mÅ"urs ne feront que changer de représailles.

En France, Napoléon n'a qu'un rêve: reconquérir cette colonie qui rapportait à la France plus que toutes ses colonies africaines réunies.

La peur du rétablissement de l'esclavage en Haïti et l'inquiétude persistante d'un probable retour des Français sont dans tous les esprits.

À la nouvelle du futur sacre de Napoléon en France, Dessalines s'autoproclame empereur.

Premier gouverneur du pays, il mène une impressionnante politique de défense qui n'empêchera pas son assassinat le 17 octobre 1806, conséquence du mécontentement général face à sa politique.

De son Empire, on ne retiendra qu'un protocole classique, une impératrice au grand cÅ"ur du nom de Claire Heureuse qui cachait même des généraux blancs, afin de les épargner de la furie sanguinaire de son mari.
Certes, l'exécution du pouvoir était devenue complexe, mais avec son "koupé tèt, boulé kay", ce ne fut que ruine et désolation.

De son Empire, on ne retiendra qu'un protocole classique, une impératrice au grand cÅ"ur du nom de Claire Heureuse qui cachait même des généraux blancs, afin de les épargner de la furie sanguinaire de son mari. A sa mort, tous les yeux se sont tournés vers un ancien général de Toussaint Louverture qui s'était fait remarquer pendant les guerres d'indépendance: Henry Christophe.

Une ascension sociale fulgurante
Né dans l'île de Grenade, alors colonie anglaise, Henry Christophe, excellent cuisinier, fut un des esclaves ayant pris part à la première guerre de Savannah (1778-1779) pour l'indépendance des États-Unis.

Ses parents étaient arrivés directement d'Afrique.

Ces esclaves, dits " nègres à talents ", travaillaient dans les sucreries et étaient réputés pour leur résistance au système esclavagiste.

En 1790, un capitaine vend Christophe au maître d'une plantation du Cap-Français. Il ne tarde pas à s'imposer rapidement comme chef du mouvement pour l'indépendance et prend part à la défense de la ville du Cap contre l'expédition Leclerc en 1802. C'est ainsi qu'il écrit à ce dernier cette phrase mémorable de l'Histoire d'Haïti: " Si vous avez la force dont vous me menacez, je vous prêterai toute la résistance qui caractérise un général ; et si le sort des armes vous est favorable, vous n'entrerez dans la ville du Cap que lorsqu'elle sera réduite en cendres, et même sur ces cendres, je vous combattrai encore.

" Leclerc débarque quand même au Cap et Christophe ordonne l'incendie de la ville.

Cet événement stigmatisera Christophe en Amérique et en Europe comme un barbare.

René Périn y consacrera une Å"uvre, L'incendie du Cap. Le polonais Daniel Chodowiecki commente la gravure La Révolte des Nègres en y faisant référence: " La Fureur et le Désespoir allument la torche de la révolte des Nègres au Cap-Français et ses flammes dévorent les plantations.

C'est Paris à Saint-Domingue "
Deux ans après, Christophe se rallie au général Alexandre Pétion dans le complot qui devait mettre à mort Dessalines.

Sitôt fait, les deux veulent diriger le pays. Ainsi, Pétion se fit élire président dans l'Ouest du pays et Christophe, avec l'appui de son armée, promulgue au Cap un acte constitutionnel qui lui défère la présidence à vie, avec les pouvoirs souverains et le titre généralissime de toutes les troupes d'Haïti le 17 février 1807. Il y eut donc une scission pendant dix ans: un Royaume dans le nord et une République dans le Sud. Puis, en 1811, non content de ses pouvoirs, Christophe prend le titre de roi d'Haïti et se fait sacrer sous le nom d'Henry Ier - un titre qu'il gardera pendant neuf ans.
Un Roi Soleil sous les tropiques
De Pétion, on ne se souvient que de l'humanisme à outrance et d'une République où le banditisme est roi. Pour Christophe dans le Nord, après une indépendance acquise au prix de tant de sang, l'important était de construire un État résolument moderne.

Nationalisme et dignité sont ses nouveaux mots d'ordre.

Il fallait donner des preuves que le pays pouvait se passer de la métropole, quitte à la prendre comme modèle. Et pour cause, ses ambitions, comme pour tout roi, sont grandes.

Son portrait peint par Welshman Richard Evans en dit long: vêtu au goût de la Régence anglaise, il porte pour seule décoration l'étoile d'or de l'Ordre de Saint-Henri qu'il fonda lui-même, avec pour devise: " Je renais de mes cendres ".

Christophe fera venir le peintre depuis Londres pour enseigner le dessin et la peinture dans son palais de Sans-souci puis à l'Académie de peinture et de musique qu'il créa.
Comme Napoléon Ier, il promulgue tout un ensemble de codes: civil dit Code Henry, maritime, commercial et rural.

Il fait construire des hôpitaux et met en place une assistance médicale gratuite.

Il accorde une importance particulière à l'éducation: on dénombrera plusieurs établissements scolaires.

Des écoles militaires et professionnelles sont construites sous son règne. Dans le royaume, tout élève doit apprendre un métier manuel.

De façon générale, Christophe manifesta une volonté politique certaine - que nombre des dirigeants politiques actuels d'Haïti devraient prendre en exemple - soulignée par Hubert Cole dans Christophe: King of Haïti: " [il] apportera un soin encore plus minutieux au protocole de Dessalines, créant une aristocratie de princes, de ducs, comtes et barons et qu'il était placé au niveau de tous les souverains d'Europe fraîchement auréolés de leur victoire sur Napoléon ".

En dépit de son narcissisme et de son despotisme, Christophe manifestait d'évidentes qualités d'homme d'État.
Le royaume du Cap, entre splendeur et décadence
Surnommée " Le Petit Paris de Saint-Domingue ", le Cap témoigne de cette époque.

Rebaptisée Cap-Henry sous le royaume, l'histoire rapporte qu'elle fut la ville la plus florissante du pays. Christophe consent beaucoup d'efforts afin de rétablir l'économie d'exportation du pays. Les esclaves libérés doivent continuer à travailler sur leurs plantations, en échange d'un quart de la récolte en rémunération.

Plus tard, comme dira Aimé Césaire, le roi reconnaîtra qu'il " demande trop aux hommes et pas assez aux Nègres ".

Et pour cause, il lui faut laisser des traces de ce royaume et construire de grands monuments à son image et pour son peuple, et pourquoi pas, " un château qui puisse épouser la largeur des jours et savourer, entier, le soleil " !
Christophe entreprend en effet de faire construire une grande citadelle, témoin de son règne somptueux, au haut d'une montagne dominant la ville.

La Citadelle Laferrière s'étend sur une soixantaine d'hectares avec des murs de cent quarante pieds de haut. Symbole de sa mégalomanie triomphante, la construction d'un tel monument est comparable à celle d'une pyramide d'Égypte.

Inutile d'imaginer combien de sueur et de sang il a fallu pour la réalisation de ce qui reste comme un défi des Noirs à la face des Blancs.

La Citadelle doit prouver la détermination de son peuple à rester libre.

Un autre Palais abritera la résidence royale et les bureaux de la monarchie.

Achevé en 1813, le Palais Sans-Souci a nécessité six ans de construction.

Certains y voient la réplique du château du même nom à Postdam, mais pour d'autres, c'est plutôt le château de Versailles en Haïti. Et Christophe ressemble fort à un Roi Soleil sous les tropiques.

Mais voilà qu'au matin du 15 août 1820, une crise d'apoplexie frappe le roi et le laisse partiellement paralysé.

À Cap-Henry, l'heure n'est pourtant pas à la compassion.

Le Royaume se soulève même contre le monarque, malgré tout ce qu'il avait fait pour relever la ville de ses ruines et qu'elle n'ait rien à envier à Port-au-Prince voire aux autres villes des Antilles.

Peu à peu, le vide s'installe autour de lui. Sans doute, une trahison en vue, une conspiration de la cour, une embuscade?

Le 8 octobre 1820, Christophe préfère se tuer d'une balle au cÅ"ur.
Despote mégalomane ou visionnaire moderne?

En 1969, dans son ouvrage Lords of Human Kind: European Attitudes towards the Outside World in Imperial Age, Kiernan Victor G. relate certaines pratiques impériales et royales retrouvées à Saint-Domingue comme n'étant que de purs emprunts aux pratiques occidentales.

Anténor Firmin, auteur et figure marquante du monde politique haïtien, soulignera au contraire que " des hommes à peine sortis de l'esclavage ont pu développer un génie d'administration qui doit étonner encore leurs congénères mêmes ".

Le programme d'éducation de Christophe était en effet des plus louables, bien que le personnage soit souvent réduit à des attributs de " despote mégalomane ".

L'histoire ne gardera en mémoire que ses puissantes intentions destructrices qu'il va pousser jusqu'au bout: le suicide.

Mais que dire de cette Académie Royale de Peinture et de Musique par exemple dont la réplique républicaine n'existe même pas aujourd'hui en Haïti?

Si son despotisme gêne encore, il faut remettre l'homme dans son contexte parfois et replacer son royaume à la lumière d'une monarchie qui n'était pas aveugle pour autant.

Il faudra attendre La tragédie du roi Christophe de l'écrivain Aimé Césaire pour immortaliser le premier roi du Nouveau Monde dans toute sa grandeur, ses contradictions et ses faiblesses.

Qualifié souvent de tyrannique, Christophe rêvait d'un royaume qui rivaliserait avec ceux du 19ème siècle en Europe mais se trouvait en effet face à un dilemme: se soucier de son peuple, protéger le pays contre une probable invasion française et rehausser l'économie du Cap. Son malheur venait peut-être du fait qu'il se croyait capable, en héros exemplaire, d'y arriver tout seul. À viser l'absolu impossible, son échec était sans doute inévitable dans une situation politique déjà complexe.

Qu'importe, il fallait qu'il aille jusqu'au bout de sa mission.

Si son côté autoritaire ternit son image dans les Républiques modernes et si Serge Sautreau et André Velter préfèrent le situer comme le "croisement issu du bouffon Duvalier et du prométhéen Castro", il est clair que Christophe, ancien esclave et simple cuisinier, n'a peut-être rien à voir avec quelques contemporains de grandes écoles qui ont déjà des siècles de leçons d'histoire derrière eux.
Il semble que les héros de la Révolution haïtienne aient quelque chose de déroutant qui tienne, comme pourraient le croire les vaudouisants, d'un mauvais traitement infligé aux dieux, avec un Toussaint Louverture trahi et déporté en France, un Dessalines assassiné et un Christophe suicidé.

Leur drame personnel semble être celui que connaît Haïti depuis deux siècles.

Aujourd'hui, le peuple haïtien " barbote dans les ruines " du Palais sans-Souci et de sa Citadelle, il demeure plutôt dans ce tan-lontan mythique, celui de " première république nègre au monde ", plus proche du " réalisme merveilleux " que de la tragique réalité quotidienne dans un des pays les plus pauvres du monde.

Depuis une dizaine d'années et le classement au patrimoine mondial par l'UNESCO, la Citadelle semble renaître de ses cendres.

Elle pourrait bien contenir un grand musée de l'histoire coloniale de Saint-Domingue, dont il ne reste que d'énormes canons, des milliers de boulettes et une tombe abandonnée sur laquelle on peut encore lire: " Ci-gît le roi Henry Christophe, né le 6 octobre 1867, mort le 20 octobre 1820 ".

On pourrait y ajouter sa déclaration, vieille de deux siècles mais d'une troublante actualit

dîtes-leur que je regrette...

qu'ils n'aient pas compris qu'à l'heure actuelle et au milieu de nos traverses, le plus grand besoin de ce pays, de ce peuple qu'il faut protéger, qu'il faut corriger, qu'il faut éduquer, c'est...

la liberté.

La liberté, sans doute, mais pas la liberté facile ! Et c'est donc d'avoir un État...

Quelque chose qui oblige ce peuple à naître à lui-même et à se dépasser lui-même ".

Bibliographie

René Depestre, Encore une mer à traverser, La Table Ronde, 2005.

Régis Debray, Haïti et la France, La Table Ronde, 2004.

André Linard, " Triste Bicentenaire en Haïti ", Le Monde Diplomatique, Février 2004.

Anne Marty, Haïti en littérature, La Flèche du temps, 2000.

Georges Ngal, Aimé césaire un homme à la recherche d'une patrie, Présence Africaine, 1994.

Hugh Honour, L'image du noir dans l'art occidental.

De la révolution américaine à la première guerre mondiale, Gallimard, 1989.

Aimé Césaire, La Tragédie du roi Christophe, Présence Africaine, 1963, 1993.

Victor G. Kiernan, The Lords of human Kind: European Attitudes towards the Outside World in the Imperial Age, Weidenfield and Nicolson, 1969.

Hubert Cole, Christophe: King of Haiti, Viking, 1967.

Thomas Madiou, Histoire d'Haïti: 1847-1848, Tome II.

Né en Haïti, Giscard Bouchotte est critique d'art et écrivain.

En 1998, il reçoit un premier prix littéraire pour sa nouvelle " Blackout ", publiée aux éditions Mémoires à Port-au-Prince, puis traduite en espagnol pour la revue Casa de las Americas.

Pendant quelques années, Bouchotte fait du théâtre au sein du Petit conservatoire de Port-au-Prince et anime plusieurs émissions radiophoniques.

Membre de AICA (Association internationale des critiques d'art), il collabore aujourd'hui comme critique à différents médias haïtiens et étrangers dont Haïti en Marche, Le Nouvelliste, www.gensdelacaraibe.org, Le Monde.

Il prépare aujourd'hui une licence de sciences politiques à Paris.

Expressions créoles
Koupé tèt, boulé kay: " Tranchez la tête, brûlez les maisons ! " (Mot d'ordre de Dessalines pendant le massacre des Français)
Tan lontan: autrefois

africultures.com/index.asp?no=3902...

Lalionne, April 18 2008, 9:43 PM

Topic: CITADELLE: Laferrière. H. CHISTOPHE Mégalomanie

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So who are we supposed to believe? If Maria-Luisa, Henry Christophe's wife was in fact Italian and white she could not... read more >
Lionne, 18-Apr-08 8:12 pm
This might help you. Beware what those French write. Her name was Marie-Louise not Luisa. She was born in Haiti, from... read more >
Claude, 18-Apr-08 9:13 pm
King Henry created the finest mansion in America, rising four stories above a broad open terrace where fountains... read more >
Claude, 18-Apr-08 9:30 pm
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Lalionne, 18-Apr-08 9:43 pm
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Tasha, 18-Apr-08 10:18 pm
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Rubens F. Titus, 21-Apr-08 9:49 pm
Bonne replique! Henry Christophe est l'un de ou le plus progressiste leader de notre histoire. L'appepeler un... read more >
Vieux Tonton, 27-Apr-08 3:35 am
je partage to sentiment, il ya des haitiens qui sont pragmatics et conscient de leur situation, tu en fais partie... read more >
Jojo, 27-Apr-08 12:16 pm

 

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